dimanche 19 mai 2013

Introduction aux Chroniques de Lamya

L'un de mes projets consiste à créer une série numérique autours d'un même univers fantastique. Une suite d'aventures en format court, entre romance et fantasy. Il s'agit des "Chroniques de Lamya".
J'ai déjà beaucoup travaillé dessus et je commence à avoir un background satisfaisant (faut pas déconner avec ça quand on se lance dans la fantasy !).

Ce que je vous propose aujourd'hui c'est de découvrir l'introduction des Chroniques de Lamya. Un petit texte que j'ai écris pour me mettre en jambes et qui permet d'entrer doucement dans mon univers.

J'espère que vous me direz ce que vous en pensez :)


«Kuro est une agréable petite ville du nord-ouest d’Urion où il fait bon vivre. Bénéficiant d’un climat tempéré et d’un environnement calme et reposant, c’est l’une des destinations favorites des Lamyains. On y trouve de nombreuses auberges de caractère, des restaurants dans la plus pure tradition gastronomique Urionnaise, et des centaines de parcours touristiques pour partir à la découverte de ses domaines les plus charmants. Kuro c’est le rendez-vous des amateurs de calme et d’authenticité.» 
Lady Clora s’arrêta un instant pour contempler la note affichée sur la porte de l’auberge d’un oeil dubitatif. «Kuro est l’une des destinations favorites des Lamyains» ... Voila qui avait de quoi étonner la jeune femme. Elle qui vivait ici depuis son enfance, elle n’avait jamais vu le moindre touriste dans le coin. Oh, il y avait bien des vagabonds, des Conciliateurs et même des gobelins mais jamais aucun véritables touristes. 
La jeune femme fut arrachée de sa rêverie quand la porte s’ouvrit. C’était Antoinot l’aubergiste. Une bonne soixantaine d’années, le ventre rond et des cheveux gris qui dégoulinaient sur les épaules. Tout était gras chez lui, depuis son tablier jusqu’à sa chevelure, en passant par son double menton. Clora n’avait jamais pu déterminer si cette caractéristique était dû à son travail ou à un simple manque d'hygiène. Toujours est-il que, même pour tout l’or du monde, elle n’aurait jamais accepté de le serrer dans ses bras. 
— Ça fait partit des nouvelles initiatives du comte ? Demanda-t-elle en désignant l’affiche du menton. 
— Ouais, articula Antoinot. Ils m’ont obligé à poser ça ici pour rappeler à tout le monde que Kuro est désormais une ville «touristique». 
— Qui va avaler ça, franchement ? 
— Le comte à l’air d’y croire très fort, marmonna-t-il en ouvrant le volet de la petite fenêtre qui côtoyait la porte d’entrée. 
Comme dans toutes les cités de Lamya, les maisons d’ici avaient été construites les unes sur les autres. La façade en pierre de l’auberge était étroitement serrée entre ses voisines et n’avait en tout et pour tout qu’une seule fenêtre. Antoinot avait cependant la chance de posséder une salle souterraine qui faisait de son établissement l’un des plus spacieux de la ville. 

Lady Clora suivit l’homme bedonnant, tandis qu’il regagnait l’intérieur de son auberge. Antoinot avait l’habitude de voir la jeune femme dès l’ouverture de son commerce. Elle débarquait avec son gros bouquin sous le bras et ses jolies robes en tissus aérien, puis s’installait à sa table habituelle pour ne plus en bouger des heures durant. Tout ce qu’il savait d’elle c’est qu’elle faisait partie d’une famille de gratte-papier qui avait toujours travaillé pour le comte, les Belroc. Des gens cultivés et aussi joyeux qu’un cimetière par une nuit d’orage. La petite lady n’était pas comme eux. Elle était fraîche et agréable, quoiqu’un peu farfelue. Antoinot avait souvent du mal à la comprendre mais il appréciait sa compagnie, comme la plupart des clients réguliers d’ailleurs. 
Ce jour la elle portait une robe bleu roi simple et élégante, recouverte par son éternelle demi-cape en peau de mouton blanche. Ses long cheveux d’un blond brillant voletaient dans son dos et elle passait son temps à rabattre distraitement des mèches rebelles derrière ses oreilles. Une fois assise à sa table, son visage blanc aux joues rebondies se fermait dans une attitude de grande concentration. 
Antoinot passa derrière le comptoir pour finir de nettoyer les verres et ranger les bouteilles qu’il venait de sortir de la réserve. Son auberge n’avait rien d’un attrape-touriste charmant mais avait l’avantage d’être assez vaste pour que personne ne se marche dessus. C’est sa regrettée femme qui s’était occupée de la décoration des lieux et elle avait un goûdt prononcé pour les fleurs et les meubles anciens. Le sol était recouvert de tapis élimés et chaque chaises avaient été choisis avec soin. La plupart avaient déjà eut une longue vie avant de finir ici, tout comme les lourds vaisseliers et les paravents en papier. La plupart des murs en pierres grises étaient recouverts de Lierre-fleurit. Celui qui a, dit-on, la particularité d’attirer les fées. Antoinot n’avait jamais aperçut la moindre fée de toute sa longue existence, en revanche il était constamment envahis par les Flamichettes. Ces petites créatures, semblables à des étincelles vivantes, se nourrissaient du pistil des fleurs et nichaient sous ses feuilles. Le vieil homme trouvait leur présence gênante parce qu’elles avaient la mauvaise habitude de se suicider dans sa soupe ou dans ses pintes de bière. En revanche les clientes comme Lady Clora en raffolaient. La présence constante des Flamichettes faisait de ce sous-sol aveugle, un petit havre romantique et propice aux douces rêveries. Il était si rare de réussir à faire pousser du Lierre-fleurit en pot. Heureusement pour son commerce, Antoinot avait eu une femme à la main verte. 
Son point fort à lui, c’était surtout la musique. Depuis qu’il avait récupéré le vieux phonographe à Orbes, il se faisait un plaisir de sélectionner de belles musiques afin de distraire ses clients. Comme tout les matins, Antoinot choisit une Orbe dans sa belle collection. Il caressa les petits globes de verre du bout des doigts et lu ce qui était gravé sur leur bague de cuivre. Son choix se porta finalement sur “Ode à Uryell“ qui était l’air préféré de la Lady. Il saisit l’Orbe et la fit glisser dans le mécanisme, juste sous le pavillon en forme de trompette. Il tourna ensuite la manivelle, deux fois, et le mécanisme s'enclencha, distillant une musique légère et nostalgique dans toute la salle. 
En entendant sa musique favorite, Lady Clora leva le nez vers son hôte et lui offrit un sourire enchanté. Le vieil homme lui répondit par un bref signe de tête et se détourna afin de dissimuler son embarra. Clora se laissa attendrir une seconde par le vieux veuf mal dégrossis. Elle le connaissait depuis de longues années et savait que le choix de cette musique n’était pas anodin. Bien qu’ils ne soient pas proches, Antoinot avait souvent ce genre de petites attentions qui touchent. Une raison supplémentaire qui la poussait à venir travailler ici. Le cadre, bien qu’un peu vieillot, était charmant et très calme à cette heure-ci. On y buvait des sirops ainsi que du thé de qualité et le service était irréprochable. 
Aussitôt que cette pensée lui eut traversé l’esprit, la porte d’entrée s'ouvrit, tout en haut de l'escalier. Des éclats de voix joyeux parvinrent jusqu’à la jeune fille qui grimaça. «Au revoir le calme !». Cinq hommes affublés de l’uniforme de la garde d’Hortûl apparurent. A la simple vue de leurs carrures solides et de la vétusté de leurs habits, on pouvait affirmer qu’il s’agissait d’une troupe mobile en faction. Autrement dit, des étrangers ! Clora bondit de sa chaise en comprenant à qui elle avait à faire. Elle s'apprêtait à interpeller les nouveaux arrivants mais Antoinot compris son manège et lui fit aussitôt les gros yeux. Il savait exactement ce qu’elle avait l’intention de faire et n’avait aucune envie de perdre d’autres clients à cause de l’engouement parfois extrême de la jeune femme pour les étrangers. Clora fronça les sourcils et se rassit brusquement. Cependant, elle avait assez de tendresse envers le vieil aubergiste pour lui laisser le temps d’encaisser avant d’intervenir. Elle aussi se souvenait de ce qu’il s’était passé la dernière fois où elle avait harcelé un Conciliateur de passage à Kuro. Le pauvre homme avait cru qu’elle lui proposait ses charmes et il avait pris ses jambes à son cou avant même de s’être installé à une table. 

Les cinq soldats de la capitale commandèrent un petit déjeuner copieux et restèrent sur le comptoir pour le consommer. Une chance pour Lady Clora qui pu s’installer à leurs côtés sans paraître intrusive. Mieux encore, les hommes semblaient d’humeur bavarde. Antoinot, après avoir encaissé l’argent, tendis une oreille attentive à ses clients avides de partager leurs dernières péripéties. Ils semblaient très excités au sujet de leur dernière patrouille aux alentours de Vianne. 
— Il y avait ce type, expliqua l’un des soldats, il parait qu’il a fait passer tout les gardes de Vianne pour des débutants. Il a pénétré dans le domaine du Général Seredan ... 
— Le comte de l’ancienne citadelle ? Demanda Antoinot les yeux brillants d'intérêt. 
— Lui même, renchérit l’autre. Le grand Seredan s’est fait détroussé par un inconnu , au sein même de ses remparts. Personne ne sait exactement comment il s’y est prit. 
— Quelqu’un m’a dit qu’il s’était fait passé pour un Garde d’Hortûl, intervint Lady Clora mine de rien. 
Les hommes se turent un instant pour la dévisager, comme s’ils venaient juste de s’apercevoir de sa présence. Clora vit Antoinot se frapper le front de la paume. Et voila, elle avait encore mis les pieds dans le plat ! Pour peu, elle se serait giflé elle même. Au lieu de ça, elle se mordit la lèvre comme pour s’empêcher de trop parler. 
L’un des soldat qui n’avait pas encore ouvert la bouche, un grand costaud avec une cicatrice sur la joue, lui offrit un sourire carnassier : 
— Tu prétends que la Garde est trop stupide pour s’apercevoir qu’un étranger s’est infiltré dans leurs rangs ? 
— Je répète simplement ce que j’ai entendu, se justifia-t-elle. Le voleur portait l’uniforme de la Garde d’Hortûl et a passé la soirée avec des soldats dans une taverne. Ils s’entendaient bien, comme de vieux camarades. Personne n’aurait pu croire que c’était un intrus mais celui qui m’a dit ça le connaissait. D’ailleurs il m’a même dit son nom, c’était ... Harian. Ou bien ... Human. Ou alors Hi ... 
— Qui t’a raconté tout ceci ? L’interrompit le soldat en se renfrognant soudain. 
— Luglorus. C’est un ... 
— Un gobelin, raillât un autre homme en uniforme. Ne t-a -t-on jamais appris, fillette, qu’il ne faut jamais croire un gobelin ? 
— On m’a également dit que les soldats étaient des gens très serviables, bougonna Clora. Comme quoi il ne faut pas écouter tout ce qu’on nous raconte enfant. 
Les quatre compagnons du soldat à la cicatrice se mirent à rire à gorges déployées. Ils étaient tous très jeunes, peut être même plus jeunes qu’elle. Seul le balafré semblait avoir de la bouteille. Il n’avait qu’une petite trentaine, à vue de nez, mais il avait l’assurance et le physique d’un homme qui avait parcourut les terres de long en large. Ses yeux bruns la dévisageaient avec une intelligence rusée qui la fit frémir. Oui, il était plutôt séduisant pour un soldat. 
— Si tu retournais travailler ? Proposa Antoinot pour éviter que les choses n’empirent. 
— Tu travailles ici ? Demanda alors un jeune soldat en la lorgnant d’un air libidineux. 
— Lady Belroc fait ses devoirs pour le comte de Kuro dans mon modeste établissement, s’empressa de répondre l’aubergiste avant que la jeune femme n’ait le temps d’exprimer son mécontentement. 
L’allusion à son statut social eut le mérite de faire taire les rires mais l’amusement brillait toujours dans leurs yeux. Antoinot finit de les distraire en leur servant du bacon tout juste sortit de la poêle. Clora retourna à sa table pendant qu’ils continuaient à bavarder sur la légitimité du nouveau comte de Vianne. Par chance, elle n’était pas susceptible et son travail l’accaparait bien trop pour qu’elle ait le temps de ruminer sur le comportement misogyne des soldats. Ces hommes n’étaient que des brutes, elle ne s’était jamais attendue à ce qu’ils comprennent sa curiosité. Peu de gens comprenaient son travail d’ailleurs mais elle ne pouvait blâmer personne, c’était un métier un peu atypique. A la base, elle était historienne, comme ses parents. Elle avait passé son enfance dans les rayonnages des archives de Kuro, à lire les légendes et les récits d’aventuriers plus ou moins connus. Quand, il y a un an, elle avait soumis son projet original au comte, elle ne s’était pas vraiment attendue à ce qu’il soit aussi enthousiasmé. 
«Les historiens répertorient des faits d’après d’anciens documents, lui avait-elle dit. Mais plus personne ne récolte les grandes histoires à la source. Il y a bien des gens qui ont écrit toutes nos légendes, des scribes qui étaient présents à une époque donnée et qui ont pu nous faire parvenir leurs histoires à travers les âges. Je veux faire comme eux. Je veux aller à la source. Je veux suivre les aventures de nos héros contemporains et écrire les légendes de demain.» 
Le jeune comte était dynamique et avait depuis longtemps manifesté la volonté de faire bouger cette petite ville monotone. Les projets innovants et culturels, comme ceux de Clora étaient accueillis à bras ouverts et soutenus à grands renforts de subventions. A moins que ce soit parce qu’il était amoureux d’elle depuis qu’il était haut comme trois pommes ... Toujours est-il qu’elle avait sauté sur l’occasion et commencé les grands préparatifs sans tarder. En effet, pour parvenir à son but, elle devrait elle aussi parcourir le monde à la recherche de héros dignes de peupler les légendes de demain. 

Clora entendit les soldats sortir de l’établissement d’une oreille distraite. Elle travaillait actuellement sur son futur parcours et devait déterminer à quel endroit elle aurait le plus de chances de trouver des héros. 
— Une Lady, hein ? 
Clora sursauta en couinant comme seules les filles savent le faire. Le soldat balafré, assis en face d’elle, la regarda le visage fendu d’un grand sourire amusé. Mais qu’est-ce qu’il faisait encore ici celui-là ? Ces amis venaient de partir, non ? 
— Je ne suis pas une putain si c’est ce que vous pensez, précisa Clora en l’observant avec suspicion. 
Il retint son hilarité par égard pour la demoiselle mais, tandis qu’il buvait une gorgée de sa pinte, ses yeux se mirent à briller avec malice. 
Clora se laissa aller un instant à contempler son visage à la peau brunie par le soleil. Il avait de grands yeux bruns sur-lignés par des sourcils très expressifs et une mâchoire carrée, tout ce qu’il y a de plus masculin. Comme tous les Gardes, il portaient une armure en cuir, de riche facture, par dessus une tunique blanche ourlée de bleu. Les couleurs d’Hortûl étaient également présentes sur sa grande cape qu’il avait déposée sur le dossier de la chaise. Il avait relevé les manches de sa chemise en laine et on pouvait apercevoir ses avant-bras parcourus de muscles étrangement fascinants. En suivant la courbe de son bras, Clora s’aperçut qu’elle n’avait encore jamais connu d’homme qui ai une carrure pareille. Elle se surprit à imaginer la sensation d’être entourée par ces bras mais fut brusquement tirée de sa rêverie quand elle réalisa qu’il s’était mit à lui parler. 
— ... un Garde ? 
— Pardon ? Articula-t-elle vaseuse. 
Un nouveau sourire remplaça le précédent sur le visage du soldat. L’amusement avait laissé place à la curiosité. Il but une nouvelle gorgée de liquide alcoolisé en la regardant par dessous, avant de recommencer : 
— On dirait que vous n’avez jamais vu de garde de votre vie. 
— J’en ai vus, de loin. Mais jamais d’aussi ... 
Elle fit un geste pour designer l’homme dans sa globalité. 
— ... Intéressant, acheva-t-elle. 
Il leva un sourcil. Soit cette fille était une allumeuse de première, soit elle était très, très, naïve. 
— Je vous plais ? Demanda-t-il pour être fixé. 
— Oh, oui ! S’exclama Clora avec entrain. Je sais bien que vous n’avez pas le temps ... Vous devez être vraiment très occupé à surveiller les voies et à patrouiller ... Comme c’est dommage, j’aurais été tellement heureuse de vous écouter. 
— M’écouter ? 
— Evidemment ! Je donnerais n’importe quoi pour rester seule avec vous pendant quelques heures ! 
Le soldat cligna des yeux. Il fit une nouvelle tentative : 
— Quelques heures avec moi pour faire quoi, par exemple ? 
— Parler des licornes ! Dit-elle joyeusement. Elles sont si rares, je suis certaine que vous en avez déjà vues. Il parait qu’elles sont magnifiques ! 
— Elle veut voir la licorne, pouffa le soldat sans s’adresser à personne en particulier. 
Clora se renfrogna soudain. 
— Ne vous moquez pas de moi, bougonna-t-elle. Je ne suis pas aussi niaise que vous semblez le penser. 
— Oh, vraiment ? Sourit-il avant de porter sa pinte à sa bouche. 
Elle fronça les sourcils et releva le menton. 
— Je sais exactement de quel genre de licorne vous parlez. Figurez-vous que, contrairement aux vraies, je les connais très bien celles-là. J’en ai chevauchées bien plus que vous ne pourriez l’imaginer. 
Le soldat avala de travers et toussa un instant avant de pouvoir retrouver l’usage de la parole. Il tenta de retrouver son sérieux mais en posant les yeux sur elle, une crise d’hilarité impromptue l’obligea à se détourner à nouveau. 
— Très bien, articula-t-il entre deux contractions abdominales, je vous assure que jamais plus je ne vous sous-estimerais. Ce fut une erreur grossière de ma part. 
— Ils sont tous comme vous, avoua soudain Clora à demi-ton. Jamais personne ne comprend que les apparences sont trompeuses. Chez moi plus que chez n’importe qui d’ailleurs ... Vous êtes venue me parler pour une raison précise ? Ou peut-être que vous vouliez simplement me montrer votre jolie licorne ? 
Le soldat afficha un large sourire carnassier. 
— Ne soyez pas aussi froide. 
— Je viens pourtant de vous dire que j’étais tout sauf froide. 
— Je m’appel Sandro. 
— Ce nom est-il censé me réchauffer ? 
— Il devrait. 
Clora fronça les sourcils et soudain la lumière se fit dans son esprit. Elle se leva brusquement, renversant sa chaise au passage, le visage illuminé par une joie rayonnante. 
— Vous êtes mon guide ! S’exclama-t-elle bruyamment en pointant son doigt sur lui. C’est bien ça ? Vous allez me faire quitter cette ville, n’est-ce pas ? 
— Il semblerait, répondit-il contaminé malgré lui par sa bonne humeur. Le comte m’a chargé d’escorter une certaines Lady Belroc là ou bon lui semblerait. 
— C’est moi ! S'émerveilla-t-elle en esquissant un petit pas de danse. Oh oui, c’est moi ! 
— Nous avions rendez-vous cet après-midi au palais mais j’ai compris qui vous étiez, après votre intervention de tout à l’heure. Voila pourquoi je me suis permis de me présenter avant la rencontre officielle. 
— Vous avez bien fait. Oh, Antoinot ! Cria-t-elle soudain. Tu as entendu ? C’est lui ! Je vais enfin pouvoir chercher des héros pour de vrai ! 
Antoinot lui répondit par un sourire chaleureux qui camoufla parfaitement sa perplexité. Le fait est qu’il ignorait totalement de quoi elle parlait. 
Clora reprit soudain son sérieux. Elle ramassa sa chaise et joignit les mains sur la table, les yeux vrillés dans ceux de Sandro. Elle le dévisagea un instant en silence avant de lui demander : 
— C’est vrai alors ? Je peux vous demander de m’emmener n’importe où ? Vous êtes pret à faire tout ce que je vous demande ? Vous êtes rien qu’à moi ? 
Sandro tiqua une nouvelle fois. Il ouvrit la bouche, la ferma et articula finalement : 
— Oui. 
— Quoi ? 
— Je ... Non, ça n’a pas d’importance. 
— Vous vous demandez si je fais exprès, n’est-ce pas ? 
Il fronça les sourcils. Parler avec cette fille était tellement compliqué que ça finissait par devenir réellement assommant. 
— Peut être, hésita-t-il. 
— Vous n’arrivez pas à déterminer si je vous allume sciemment ou si je suis juste étourdie quand je parle. 
— Quelque chose comme ça, oui. 
— En réalité je ne fait pas exprès, pas vraiment. Je n’avais pas l’intention de vous perturber et encore moins, de me faire remarquer ... Parce que vous comprenez, je suis une Lady et tout ça ... Mais de manière générale, les mots sortent de ma bouche avant que je n’y réfléchisse vraiment. Alors forcément, quand quelqu’un me plait, ça se voit toujours comme le nez au milieu de la figure. 
Sandro la dévisagea un instant. Puis, il ferma fortement les yeux et se massa les paupières avec les doigts. Une petite ride venait d’apparaître entre ses sourcils épais. Finalement il répondit sans ouvrir les yeux : 
— Donc je vous plais parce que ... Quoi ? Parce que je peux vous apprendre des choses de mon expérience ? 
— Cette fois-ci, je parlais plutôt de vos muscles. 
Sandro ouvrit les yeux en grand. Mais qui était cette fille ? Pourquoi est-ce que tout était si compliqué quand elle s’exprimait ? 
— Tout à l’heure, reprit Clora, vous m’avez interrompue avant que je ne cite le nom du voleur de Vianne. Vous le connaissez, n’est-ce pas ? 
— Je ... Non. 
— Inutile de me mentir, j’ai tout de suite compris ce que vous tentiez de faire. Je n’ai pas l’intention de le dénoncer aux autorités, vous savez. 
— Alors pourquoi vous intéresse-t-il ? 
— Je veux le rencontrer. Il sera mon premier héros. 
— Il n’a rien d’un héros, c’est un voleur. 
— Il a tout pour le devenir. Je fais des recherches sur lui depuis des mois. J’ai retrouvé sa trace dans un nombre incalculable de rapports de délits et j’entends tout les commérages de bar. J’ai même payé le gobelin pour qu’il me raconte tout ce qu’il savait. Ce type mérite qu’on raconte son histoire. 
Sandro eut un sourire las. Il s’étira et fini sa pinte avant de la reposer bruyamment sur la table. 
— Hiran, lâcha-t-il soudain. Il s’appelle Hiran. 
— Vous êtes son ami ? 
— Oui. 
— M’aiderez-vous à le rencontrer ? 
— Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour vous faire plaisir. 
Lady Clora sourit largement et se yeux se mirent à briller avec malice. 
— Vous l’avez fait exprès cette fois-ci, affirma-t-elle sur un ton bas. 
— Je l’ai fait exprès, sans le vouloir. 
— Vous m’avez vite cernée. S’en est presque déconcertant. 
— C’est vous qui êtes déconcertante. 
— La plupart des gens préfèrent le terme “farfelue“. 
— Vous êtes bien trop perspicace et intelligente pour ça. 
— Je vous retourne le compliment, dit-elle. 
Sandro se leva et pris la main de Lady Clora pour l’aider à se mettre debout à son tour. Cet homme avait peut être l’apparence d’un guerrier brutal mais il connaissait les usages. Galanterie et force, voila une alliance des plus agréables. 
— Nous nous voyons cette après-midi au palais, déclara-t-il sans lui lâcher la main. Vous devrez me dire ou vous souhaitez vous rendre en premier. 
— Pourquoi ne pas commencer par les licornes ? Lui confia-t-elle en savourant la rudesse de sa main sur la sienne. 

Antoinot suivit des yeux le soldat, tandis qu’il sortait de son auberge, un large sourire aux lèvres. La Lady s’était replongée dans son gros livre, mais ses yeux restaient immobiles. Elle avait visiblement perdu sa légendaire concentration. 
Alors comme ça, elle allait quitter Kuro pour partir à l’aventure sur les terres de Lamya ? Antoinot ôta une flamichette morte qui avait échoué dans sa pinte, d’un geste distrait. Il se sentait un peu triste à l’idée de perdre sa cliente la plus rafraîchissante. Et puis, qui sait ce qui l’attendrait lors de son voyage ? Les licornes n’étaient pas les seules à parcourir les terres sauvages. 

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